Article publié dans IMMO’24, de The Swiss Property Fair, en janvier 2024.
Auteur : Michel Dominicé
La hausse depuis 2022 des taux d’intérêt directeurs des grandes banques centrales et de la BNS peuvent faire penser que le monde est revenu à la normale et que la période des taux d’intérêt nuls ou négatifs est désormais révolue. Nous pensons au contraire que cette hausse est temporaire et constitue la réponse à la vague d’inflation engendrée par une stimulation macroéconomique excessive au moment où la production industrielle était perturbée par le Covid. Nous pensons que l’inflation va continuer à refluer jusqu’à environ 2 % aux Etats-Unis et 0.5 % en Suisse. A ce niveau, la BNS n’aura pas d’autres options que de revenir aux taux d’intérêt négatifs.
Comment l’expliquer ?
L’économie du savoir a ouvert une nouvelle ère
Observons tout d’abord qu’un changement fondamental s’est produit dans les marchés des capitaux avec l’émergence de l’économie du savoir. Ce que nous qualifions d’ « économie du savoir » est celle où la composante de savoir-faire domine celle du capital fixe dans les projets entrepreneuriaux. Dans cet environnement l’industrie a moins besoin de mobiliser de l’épargne pour investir mais plus de capital humain. En parallèle, l’allongement de l’espérance de vie a entraîné une hausse de la propension à épargner. La résultante est que l’on peut observer des taux d’intérêt réels négatifs sur toutes les grandes monnaies du monde depuis environ 2010 (image 1 – voir lien), c’est-à-dire des taux d’intérêt inférieurs au niveau de l’inflation. Ce nouvel équilibre est destiné à perdurer ces prochaines décennies.
Des liquidités surabondantes en permanence
En Suisse comme ailleurs, ce changement de paradigme se lit aussi sur le bilan de la banque centrale. Dans le passé la BNS créait une restriction monétaire en ne mettant à disposition qu’une quantité limitée de liquidités au système bancaire dans le but de freiner l’offre de crédit et l’expansion monétaire qui l’accompagne. Depuis fin 2008 la BNS s’est trouvée dans l’obligation de s’aligner sur la politique de la Fed et de la BCE en allongeant son bilan, sans quoi le franc suisse se serait apprécié excessivement (image 2 – voir lien). Par conséquent, les banques commerciales détiennent des réserves largement excédentaires auprès de la BNS ce qui leur permettrait théoriquement d’accorder des crédits supplémentaires très importants au secteur privé. Cependant, dans l’économie du savoir les opportunités d’investissement nécessitent souvent un savoir-faire particulier, le simple accès à des capitaux ne suffit pas. Dès lors, les banques commerciales ne peuvent pas réaliser tout le potentiel de prêts que représente leurs liquidités déposées à la banque centrale, faute d’emprunteurs adéquats.
La BNS poussée à nouveau vers les taux négatifs
Depuis 2010, la BNS à lutté contre trois fléaux. Le premier est le risque de hausse excessive du franc et de déflation que cela peut entraîner. Le deuxième est le risque de bulle immobilière induit par les taux d’intérêt négatifs. Le troisième est le risque d’allongement de son bilan et de perte que cela peut entraîner comme ce fut le cas en 2022. Lorsque l’inflation refluera vers le niveau cible de 2 % aux Etats-Unis, il y a fort à parier qu’en Suisse l’inflation sera inférieure en raison des pressions haussières continues qui s’exercent sur le franc. Dans un tel contexte, la BNS ne pourra pas intervenir durablement sur le marché des changes sans allonger son bilan et ne voudra pas non plus laisser le franc suisse s’apprécier trop vite. Elle n’aura donc pas d’autre option que de revenir à sa politique de taux d’intérêt négatifs. Nous pensons que cela arrivera dans environ 2 ou 3 ans.