Article publié le 6 mars 2025, sur Immoday.ch
Depuis le retour des investisseurs dans l’immobilier titrisé suisse début 2024, les augmentations de capital se sont multipliées. On en comptait plus de 50 en 2024 et déjà une vingtaine en ce début 2025. Mais une nouvelle tendance s’est dessinée parmi les petits fonds : au lieu de procéder à une seule levée importante, ils préfèrent multiplier des opérations plus modestes, ne dépassant pas quelques dizaines de millions de francs. Explications.
Par Olivier Toublan
Le retour des investisseurs sur le marché de l’immobilier titrisé en Suisse en 2024 a entraîné une vague d’augmentations de capital. Plus de 50 opérations ont eu lieu cette année-là, et 2025 en compte déjà une vingtaine. Cependant, une stratégie particulière s’est imposée parmi plusieurs petits fonds indépendants : au lieu de lever d’importants montants en une seule fois, ils optent pour des augmentations successives de quelques dizaines de millions de francs. En 2024, une demi-douzaine de véhicules a procédé à au moins deux levées de fonds. Pourquoi cette stratégie ? Diego Reyes, Senior Fund Manager de Dominicé Swiss Property, qui a réalisé quatre augmentations de capital ces 12 derniers mois, nous explique son approche.
Diego Reyes, vous venez d’annoncer une nouvelle augmentation de capital. Si je compte bien, c’est la quatrième en 12 mois ?
Effectivement. Nous avons réalisé une première augmentation de 37 millions de francs en avril 2024, suivie d’une seconde en juin (38 millions de francs), d’une troisième en novembre (57 millions de francs) et la prochaine, prévue pour mars 2025, s’élèvera également à 57 millions de francs. À cela s’ajoute un swap d’actifs de 13 millions de francs en juillet 2024.
Pourquoi ne pas avoir procédé à une seule levée de fonds de 200 millions de francs ?
Début 2024, le marché était encore marqué par les hausses de taux d’intérêt, ce qui rendait les investisseurs plus prudents. Lorsque les taux ont commencé à baisser, nous avons choisi une approche mesurée : lever des capitaux uniquement pour financer des acquisitions déjà sécurisées.
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D’accord, mais alors pourquoi une deuxième augmentation seulement trois mois après la, première ? Mauvaise planification ?
Non, au contraire. Un dossier s’est débloqué plus vite que prévu : l’acquisition d’un portefeuille immobilier appartenant à un Family Office genevois. Cette flexibilité nous permet de saisir les opportunités dès qu’elles se présentent, sans mobiliser inutilement des capitaux en attente.
Pourquoi cette stratégie de levées de fonds fragmentées ?
Nous voulons investir immédiatement les capitaux confiés par nos investisseurs, sans les laisser inutilisés. Ceux qui investissent dans un fonds immobilier s’attendent à ce que leur argent soit rapidement déployé dans des actifs concrets, et non laissé en liquidités sur un compte en banque. Dans le contexte actuel de taux toujours en baisse, cette approche optimise l’utilisation des capitaux et la performance du fonds.
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Cela ne traduit-il pas un manque de confiance des investisseurs ?
Au contraire. Toutes nos augmentations de capital ont été largement sursouscrites. Les investisseurs sont aujourd’hui très pragmatiques : ils veulent une transparence totale sur l’usage des fonds et l’impact des acquisitions sur la rentabilité. Nous avons donc adopté une stratégie mesurée, avec des augmentations correspondant à environ 10 % de la valeur du fonds, assurant une intégration optimale du nouveau capital et une gestion rigoureuse.
Si l’augmentation de mars se déroule comme prévu, où en sera le Swiss Property Fund ?
Nous anticipons que la valeur brute du portefeuille atteindra environ 830 millions de francs d’ici l’automne 2025. Notre croissance repose sur des critères d’acquisition stricts et une sélection rigoureuse des actifs, afin de garantir une création de valeur durable.
La demande pour cette nouvelle levée de fonds est-elle forte ?
Oui, très forte, notamment de la part de nouveaux investisseurs privés souhaitant acquérir des parts du fonds.
Si la demande est si forte, pourquoi vous limiter à 57 millions de francs ? Pourquoi ne pas lever 80 millions ?
Nous adoptons une approche pragmatique. Lever 80 millions impliquerait de trouver un volume d’acquisitions plus important, ce qui est complexe dans un marché où les opportunités de qualité se raréfient. Nous restons sélectifs afin de préserver la rentabilité et la solidité du fonds. Cette prudence est d’autant plus justifiée si, comme nous l’anticipons, les taux d’intérêt redeviennent négatifs.
Que se passera-t-il si les taux redeviennent négatifs ?
Les grands acteurs – caisses de pension, banques, assurances – vont massivement se repositionner sur l’immobilier résidentiel, ce qui fera grimper les prix et baisser les rendements. Cela compliquera encore plus la recherche d’actifs attractifs. Heureusement, ces investisseurs institutionnels ciblent souvent des acquisitions d’au moins 30 millions de francs, laissant des opportunités intéressantes en dessous de ce seuil.
Quel est aujourd’hui le prix moyen de vos acquisitions ?
Il est en augmentation. Sur les 12 derniers mois, la taille moyenne des actifs acquis s’élève à 18,5 millions de francs. Depuis 2022, la valeur moyenne des actifs du fonds est passée de 12 à 14 millions, témoignant de notre volonté d’acquérir des biens de plus grande taille pour améliorer la liquidité du fonds.
Au fait, qui sont vos investisseurs lors de ces augmentations de capital ? Ceux qui possèdent déjà de vos parts ou des nouveaux arrivants ?
Lors de nos deux premières augmentations de capital en 2024, environ un tiers des souscripteurs étaient de nouveaux investisseurs. Nous avons mené un travail important auprès des gestionnaires de fortune, des Family Offices et des investisseurs privés pour les convaincre d’intégrer notre fonds. Cette approche a porté ses fruits, puisque nos investisseurs existants ont depuis renforcé leurs positions : en décembre 2024, plus de 70 % des souscriptions provenaient de nos porteurs de parts actuels.
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Plutôt des privés ou des institutionnels ?
Notre fonds compte environ 70 % d’investisseurs privés et 30 % d’institutionnels. C’est un choix stratégique : nous voulons être un produit privilégié pour les investisseurs privés.
Votre agio de 21 % en février est bien inférieur à la moyenne des fonds cotés, qui dépasse 35 %. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?
C’est clairement un atout. Les fonds historiques, dotés de portefeuilles immobiliers de grande qualité et générant des rendements élevés grâce à des acquisitions réalisées il y a plusieurs décennies, affichent aujourd’hui des agios souvent supérieurs à 40 %. Pour les investisseurs souhaitant entrer sur le marché, ces valorisations peuvent représenter une barrière. Nous offrons ainsi une alternative attractive, avec un agio plus raisonnable et une stratégie d’investissement rigoureuse. Notre historique démontre par ailleurs notre capacité à identifier des opportunités pertinentes et à créer de la valeur grâce à une gestion active et performante du portefeuille.
Les coûts de plusieurs levées de fonds sont-ils plus élevés que pour une seule ?
Non, la différence est marginale. Au final, les frais sont quasiment identiques.
Allez-vous poursuivre cette stratégie dans les mois à venir ?
Oui, nous comptons maintenir cette dynamique. Notre objectif est d’atteindre un portefeuille d’1 milliard de francs d’ici 2029.
C’est la nouvelle taille critique pour un fonds immobilier ?
Avec la fusion des fonds Credit Suisse et UBS, cette taille critique va probablement dépasser 2 milliards de francs. D’où l’importance pour nous de poursuivre une croissance qualitative et maîtrisée, afin de rester un acteur incontournable du marché.